POSTFACE

LES CHRONIQUES DE TÉNÉBREUSE

Marion Zimmer Bradley a écrit de bien belles nouvelles (dont Les Voix de t’espace 10 donnent un brillant aperçu), mais elle a surtout fait une carrière de romancière. Dès l’origine, la planète Ténébreuse a été conçue comme un univers romanesque, et sa créatrice, publiant en même temps les deux premiers romans qu’elle y avait situés, n’imaginait pas qu’elle allait faire rêver les fans et qu’on lui demanderait de remplir les blancs de la carte et un récit. Parmi les lecteurs de The Sword of Aldones (1962), beaucoup auraient voulu savoir ce qui était arrivé à Lew Alton pendant sa jeunesse. Marion se déclara incapable de répondre, ouvrant la voie à toutes les spéculations. Jacqueline Lichtenberg lui proposa un scénario ; Marion n’avait pas encore acquis le doigté des vieux diplomates et ne sut dire qu’une chose : ça ne pouvait pas s’être passé comme ça.

Pourtant elle avait en elle tout ce qu’il fallait d’enfance pour comprendre ceux qui voulaient partager son rêve ; elle avait assez le goût du jeu pour fréquenter les conventions de S. -F. et s’y produire déguisée en personnage de Tolkien. Le temps passa ; les romans s’ajoutèrent aux romans ; et le moment vint où de jeunes fans se présentèrent aux conventions en tenue ténébrane. Des réunions se tinrent en marge des activités officielles ; on fonda une Société des Amis de Ténébreuse (« the Friends of Darkover ») qui publia une lettre périodique (1975) puis un fanzine, Starstone (1977), dont le contenu fut réédité en deux recueils : Taies ofthe Free Amazons et More Taies of the Free Amazons.

Marion accepta de patronner ces activités : sans rien perdre de sa réserve, elle comprenait qu’elle devait répondre à l’enthousiasme des fans. Ce sont eux qui, au moins en partie, l’ont incitée à ordonner un peu l’univers de Ténébreuse – une tâche qui d’ailleurs rut partiellement déléguée à son mari de l’époque, Walter Breen, auteur de la Darkover Concordance (1979). Elle accepta de mettre en forme quelques fragments qui n’avaient pas trouvé leur place dans ses romans précédents et de les publier dans Starstone. Elle lut les nouvelles reçues par la rédaction, elle sélectionna les meilleures et parfois les récrivit. Et c’est ainsi que tout doucement l’univers de Ténébreuse cessa d’être complètement à elle.

Il est tentant pour un écrivain débutant d’aller se loger pour quelque temps dans les mondes d’autrui : Marion elle-même avait débuté dans la carrière en pastichant Leigh Brackett, d’ailleurs inconsciemment, et celle-ci avait eu la sagesse de ne rien dire. Mais le partage des univers, au cours des années soixante-dix, devint un phénomène courant dans la presse amateur. La cause en est la série Star Trek, qui eut le double effet d’imposer un univers plus fortement que toutes les séries précédentes et d’y accueillir des femmes en grand nombre (en qualité de fans ou d’auteurs) pour la première fois dans l’histoire de la S. -F. : une véritable « désagrégation 11 ». Marion estime que la « fan fiction » de Jacqueline Lichtenberg est très proche de Star Trek12 ; il est vrai que, selon cette dernière, « Ténébreuse est juste une version avancée de Star Trek pour ceux qui ont grandi13 ».

Marion ne s’est jamais beaucoup compromise dans ce genre d’amabilités. Sa vraie réponse à Jacqueline Lichtenberg, on la trouve dans L’Héritage d’Hastur, la « prequel » à The Sword of Aldones qu’elle prit enfin le temps d’écrire et qu’elle publia en 1975. Mais dans le contexte créé par Starstone, elle reçut un texte faisant la jonction entre les deux romans ; et cette fois, elle l’adopta. The Other Side of the Mirror de Patricia Floss ne fut publié que tardivement dans le recueil du même nom (1987), mais Marion n’a jamais cessé de dire que cet ouvrage représente à ses yeux la vérité officielle sur une courte période de l’histoire de Ténébreuse.

Certains des auteurs qu’elle a ainsi découverts lui paraissent très semblables à elle-même : c’est notamment le cas de Diana Paxon – qui a clarifié l’histoire de la période antérieure aux Âges du Chaos – ou d’Elisabeth Waters. Mais d’autres lui paraissent moins proches de sa vision personnelle de Ténébreuse, ce qui d ailleurs ne la gêne pas particulièrement : elle assure même, non sans coquetterie, qu’elle n’a pas « inventé » mais « découvert » Ténébreuse. On peut refaire le voyage, y compris dans l’un des nombreux univers parallèles à celui de Marion. Elle s’est contentée de choisir les meilleurs textes (ou les plus originaux) et d’y apporter des retouches minimes[i]

Le phénomène prit une grande ampleur quand Don Wollheim, impressionné par le succès de Ténébreuse, demanda à Marion de réunir les meilleurs textes de Starstone (déjà repris, on l’a vu, dans deux recueils à diffusion restreinte dans des anthologies périodiques où son nom serait associé à celui des jeunes auteurs qui partageaient son univers. Les Amis de Ténébreuse se chargèrent de répandre la nouvelle et Marion, à partir de 978, fut littéralement submergée de textes et se retrouva, sans l’avoir vraiment voulu, dans une position de chef d’école 14 : douze volumes sont parus, de The Keeper’s Price (1980) à Snows or Darkover 1994) ; 84 auteurs ont été publiés, dont 10 ont ultérieurement publié des livres et 24 ont publié des nouvelles dans d’autres supports que les anthologies de Marion Zimmer Bradley. Des auteurs comme Mercedes Lackey, Jennifer Roberson, Susan Shwartz et Deborah Wheeler y ont peut-être puisé des encouragements décisifs pour se lancer dans la carrière et y remporter les succès que l’on sait.

Les univers partagés ont connu dans les années quatre-vingt un formidable développement, le plus souvent à l’insu de leurs auteurs, qui n’y ont vu que des opérations commerciales. Marion est peut-être une des seules qui s’y soient pleinement investies et accomplies. Elle a d’ailleurs montré la voie à d’autres auteurs féminins comme Mercedes Lackey et… Jacqueline Lich-tenberg qui, à leur tour, ont encouragé de jeunes romancières à s’établir dans les mondes qu’elles avaient inventés15. Elle a rayonné sur d’innombrables News-letters, fanzines et « conseils », au point qu’actuellement les Amis de Ténébreuse ont cessé de publier. Mais Marion édite un Fantasy Magazine, dont elle a même tiré, en deux volumes, The Best of Marion Zimmer Bradley’s Fantasy Magazine (Warner, 1995).

Les graines sont semées. La moisson pousse.

J. G.

L'empire débarque
titlepage.xhtml
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_000.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_001.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_002.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_003.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_004.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_005.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_006.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_007.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_008.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_009.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_010.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_011.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_012.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_013.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_014.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_015.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_016.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_017.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_018.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_019.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_020.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_021.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_022.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_023.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_024.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_025.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_026.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_027.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_028.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_029.htm
BRADLEY (Marion Zimmer) - L'empire debarque_split_030.htm